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La Lettre
Version moderne de l’expérience de Grangier-Aspect, réalisée en 2005 à l’ENS de Cachan, dans l’équipe de
Jean-François Roch
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Le faisceau de lumière constitué de photons uniques est dilaté et envoyé sur un bi-prisme de Fresnel, de telle sorte que la moitié haute du faisceau est
déviée vers le détecteur D2, tandis que la partie basse est déviée vers le détecteur D1 (1). Si l'on a un seul corpuscule, il passera soit dans le prisme
du haut et sera détecté par D2, soit dans le prisme du bas et sera détecté par D1, mais il n’y aura aucune détection simultanée par D1 et D2. Cette
absence de détection en coïncidence par D1 et D2 permet de vérifier que l’on a bien affaire à une source de photons uniques. Si l’on insère maintenant,
à l’intersection des deux faisceaux, un détecteur CCD, caméra très sensible qui permet de voir l’arrivée de chaque photon (2), on constate que les
photons vont s’accumuler dans des « franges brillantes », qui ne sont autres que les franges d’interférence que Fresnel avaient observées grâce à son
dispositif. Les images de droite montrent la construction progressive des franges d’interférence, photon par photon : elles sont obtenues respectivement
au bout de 20 secondes (a), 200 secondes (b) et 2 000 secondes (c). Une vidéo montrant la construction de ces franges est disponible par exemple
sur
http://www.lcf.institutoptique.fr/Alain-Aspect-homepage.propriétés de la lumière qu’Einstein a dégagé le concept fondamental à la base de la première révolution
quantique, formalisé dès 1925 par Schrödinger, tandis que Heisenberg invente la « mécanique des
matrices ». Avec la synthèse de Dirac, qui montre l’équivalence des deux approches, la mécanique
quantique moderne est née. En moins de deux décennies, elle va donner une description profonde et
quantitative des propriétés de la matière et de la lumière, ainsi que de leurs interactions : les phénomènes
d’absorption et d
’émission.Au-delà de la compréhension de phénomènes qui avaient résisté aux physiciens
classiques, elle conduira, après la seconde guerre mondiale, à l’invention de nouveaux dispositifs, le laser
et le transistor, qui ont bouleversé notre société autant que le fit l’invention de la machine à vapeur, deux
siècles plus tôt.
Et pourtant, même si l’on maîtrise le formalisme mathématique qui en rend compte, la dualité onde-
corpuscule reste un grand mystère conceptuel, comme le souligne Richard Feynman dans son célèbre
cours de physique, publié en 1963 : «
In this chapter we shall tackle immediately the basic element
of the mysterious behavior in its most strange form. We choose to examine a phenomenon which is
impossible, absolutely impossible, to explain in any classical way, and which has in it the heart of quantum
mechanics. In reality, it contains the only mystery. We cannot make the mystery go away by ‘explaining’
how it works. We will just tell you how it works. In telling you how it works we will have told you about the
basic peculiarities of all quantum mechanics. »
Si personne ne doutait plus de la validité du concept, il fallut pourtant attendre le milieu des années 1980
pour qu’une expérience utilisant la lumière en donne une illustration directe
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. Cette expérience, réalisée
dans le cadre de la thèse de Philippe Grangier, utilisait la première « source de photons uniques » jamais