

350
ANS
DE
SCIENCE
71
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Une interrogation féconde : «
Objet de ce cours : essayer […] de répondre à la
question suivante : pourrait-on se passer du concept de photon, au moins dans le
domaine optique ?
», Claude Cohen-Tannoudji, 1979 (premier cours année 1979-
1980 –
www.phys.ens.fr/~cct/college-de-france/)Claude Cohen-Tannoudji
Le rôle majeur d'Einstein dans l'émergence de la
théorie quantique est mis en relief dans
Albert Einstein,
Œuvres choisies, Tome 1: Quanta. Textes choisis
et présentés par Françoise Balibar, Olivier Darrigol
et Bruno Jech. Seuil et Editions du CNRS
, ainsi que
dans
Einstein and the Quantum, A. Douglas Stone,
Princeton University press, 2014.
de Maxwell, ne peut ignorer la question, et il y répond
de façon magistrale lors de sa première apparition
dans une conférence scientifique, la conférence de
la physique allemande qui se tient à Salzburg en
1909. Einstein y développe une série d'arguments
et conclut : «
Je n'en ai fait usage que pour illustrer
rapidement le fait que les deux caractéristiques
structurelles (structure ondulatoire et structure
en quanta) […] ne doivent pas être tenues pour
incompatibles.
» Au bout de chaque argument, la
conclusion d'Einstein est donc la même : la lumière
est à la fois onde et corpuscule. Il faudra attendre
quatorze ans pour que Louis de Broglie énonce
cette dualité onde-corpuscule non plus pour les particules de lumière, mais pour les particules matérielles.
Avec la dualité onde-corpuscule, la physique quantique moderne était née. L'optique allait continuer ses
progrès tout au long du 20
e
siècle, notamment après l'invention du laser ; continuant la tradition de leurs
aînés, les Français allaient y tenir une place éminente, fournissant des bataillons importants à notre
Académie. Mais la dualité onde-corpuscule de la lumière restait bien mystérieuse, comme en témoignent
les questions que se pose le jeune Alfred Kastler, professeur de lycée en 1932 à Bordeaux, et qui le
conduiront à la découverte du pompage optique avec Jean Brossel : «
Si cette synthèse satisfait le
mathématicien, elle continue à inquiéter le physicien qui ne saurait se contenter de formules abstraites.
Pour lui, la dualité entre les aspects ondulatoires et les aspects corpusculaires de la lumière reste un
mystère non résolu.
» (Les propriétés corpusculaires de la lumière,
In Procès-verbaux des séances de la
Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux
, 1931-1932, pp 32-58)
Trente-deux ans plus tard, élève de terminale au lycée d'Agen, je pose les mêmes questions à un professeur
bien en peine d'y répondre malgré ses immenses compétences. Il me faudra encore attendre quinze ans
pour trouver, comme beaucoup de mes contemporains, une réponse lumineuse dans les cours au Collège
de France de notre confrère
Claude Cohen-Tannoudji qui,
en clarifiant ces questions,
a permis à l'école française
d'optique
quantique
de
rayonner dans le monde
entier.