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La Lettre
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L’urgence de transmettre
Le caractère cumulatif de la science nous
incite à nous adapter à l’accroissement
rapide des connaissances. Le temps
est révolu où Descartes préconisait aux
jeunes, à juste titre à l’époque, de se libérer
du dogme des anciens pour redécouvrir
par eux-mêmes le savoir avec un esprit
critique. Comme en témoigne François-
Xavier Bellamy dans
Les déshérités, ou
l’urgence de transmettre
(Plon Éd., 2014),
il est vain aujourd’hui de laisser croire à
quiconque qu’il peut tout redécouvrir par
lui-même. Il n’en a tout simplement pas le
temps. Au siècle des Lumières, tout savant
pouvait acquérir et assimiler l’ensemble
des savoirs scientifiques que l’époque
rassemblait, et ce que nous appelons
de nos jours l’interdisciplinarité germait
sans peine dans un seul cerveau. Il en va
différemment aujourd’hui, où chacun d’entre nous ne saurait tout embrasser et doit se limiter à acquérir
une discipline. C’est cette segmentation de la science qu’il nous faut connecter afin d’utiliser au mieux
l’ensemble des savoirs.
Ainsi progresse la science qui, par son caractère cumulatif, rythme l’irréversibilité qui nous entraîne.
Ce progrès n’exclut cependant pas des effets pervers. L’ignorance a toujours fait surgir de l’ombre des
croyances qui aident à surmonter la peur de ce qui semble mystérieux car incompris. Il y a quelques
siècles encore, ces peurs ancestrales étaient les mêmes pour tous. Mais aujourd’hui, le savoir des uns
permet de créer et de produire des objets qui paraissent magiques pour d’autres. Ces derniers n’en
comprennent ni le fonctionnement, ni même parfois la finalité, et pourtant ils les utilisent. L’écart entre une
minorité qui a acquis des connaissances scientifiques profondes et la très grande majorité qui ne se les
approprie pas présente un danger pour la cohésion de nos sociétés. Il crée une brèche croissante dans
laquelle s’engouffrent charlatans, idéologues, imposteurs qui utilisent un langage pseudo-rationnel pour
abuser ceux d’entre nous pour lesquels le savoir scientifique demeure une énigme. Comme un ressort
qui se tend et finira par casser si l’on n’y prend garde, l’abondance des connaissances scientifiques
acquises ne peut s’éloigner de nos sociétés. L’éducation ainsi que les réflexions par tous sur l’utilisation
de ces savoirs sont plus que jamais primordiales. Dans son livre
La Pensée sauvage
(Plon Éd., 1962),
Claude Lévi-Strauss nous invite à laisser coexister nos deux modes de pensée, la pensée scientifique et
la pensée sauvage : l’une, plus abstraite, pense le monde de l’extérieur, tandis que l’autre, plus concrète,
le pense de l’intérieur, car on ne peut demander à la science de répondre seule à toutes les questions que