La Lettre de l'Académie des sciences n°33 - page 34

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La Lettre
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●● Dossier Lagrange sur Image des mathé-
matiques CNRS : images.math.cnrs.fr/+-
Joseph-Louis-Lagrange-+.html
© Collections École polytechnique - Palaiseau
Les concours de l’Académie de Paris amènent ainsi Lagrange à étudier les inégalités séculaires, de
petites oscillations des planètes qui s’opposent au calcul des éphémérides à longue échéance et peuvent
produire des modifications importantes des orbites, menaçant ainsi la stabilité du système solaire. La-
grange transfère alors à la mécanique céleste son analyse des vibrations d’une corde. Mathématiser un
ensemble varié de problèmes par une même expression analytique est une pratique partagée par les géo-
mètres des académies, et de nombreux procédés mathématiques circulent ainsi d’une branche du savoir
à une autre au gré des concours. Mais la mathématisation des inégalités séculaires témoigne aussi d’une
spécificité de Lagrange : la combinaison d’un idéal de simplicité dans l’expression analytique cherchée et
d’un idéal de généralité dans l’étude de
n
corps.
Un nouveau problème en découle : la nature mécanique des oscillations - et par là la stabilité du
système solaire - dépend d’une équation algébrique de degré
n
qui ne peut être résolue explicitement si
n
≥ 5. Longtemps dénommée
équation séculaire
en référence au travaux de Lagrange et à leur poursuite
par Laplace, cette équation est aujourd’hui appelée
équation caractéristique
. L’étude de la nature de ses
racines a joué un rôle essentiel dans l’émergence de concepts clés
de l’algèbre linéaire, discipline qui irrigue aujourd’hui des branches
très variées de la recherche scientifique. Le problème des petites
oscillations occupe aussi une place de choix dans la
Mécanique
analytique
de 1788. Contrairement à Newton, qui était fidèle à la géo-
métrie d’Euclide, Lagrange est connu pour avoir banni de son grand
œuvre toute figure au profit d’expressions analytiques qu’Hamilton
qualifiera de « 
poème scientifique écrit par le Shakespeare des
mathématiques »
. Nous avons vu cependant que, pour Lagrange,
ces expressions ne se réduisent pas à une abstraction algébrique,
des interprétations mécaniques prenant également place au cœur de
sa créativité. Le formalisme de l’écriture permettra toutefois aux lec-
teurs de la
Mécanique analytique
d’associer librement de nouvelles
interprétations aux formules contenues dans cet ouvrage.
Tout au long du XIX
e
siècle, l’
équation séculaire
a ainsi servi de modèle à des problèmes issus de champs
scientifiques variés, des vibrations d’une membrane lors de la propagation du son à la mécanique des
fluides, en passant par les axes propres de rotation d’un solide, les théories de l’élasticité ou de la lumière.
Mais cette équation a aussi inspiré des résultats proprement mathématiques comme le théorème de
Sturm, les axes principaux des coniques, la théorie des résidus en analyse complexe, la loi d’inertie des
formes quadratiques ou, encore, la théorie des matrices. L’équation séculaire a ainsi supporté le trans-
fert de procédés opératoires entre différents
domaines, une circulation qui a enrichi ces
procédés de significations nouvelles avant
qu’Henri Poincaré les investisse à nouveau
en mécanique céleste, à la fin du XIX
e
siècle...
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