

37 38
86
La Lettre
© Photo Researchers, Inc - Alamy
Vue d'artiste de Ceres
© ESO
Carl Friedrich Gauss (1777-1855)
de nouveaux sujets se former. Pour n'en évoquer qu’un, particulièrement cher à mon coeur, c'est en
1933 que Torsten Carleman effectue la première étude mathématique de l'équation de Boltzmann, qui
décrit et prédit l'évolution statistique d'un gaz soumis à d'incessantes collisions ; aujourd'hui, la littérature
mathématique sur le sujet couvre des dizaines de milliers de pages.
Et les mathématiciens se comptent maintenant en centaines de milliers, fonctionnant en systèmes de
recherche hautement organisés, publiant plus que jamais, et sans doute trop, dans des centaines de
revues spécialisées, le plus souvent en collaboration ; ils se retrouvent à travers le monde dans un
incessant ballet de colloques et courriels. Le rôle des mathématiciens dans l'industrie est reconnu ; ils se
sont fait encenser et vilipender, et à l'occasion traiter de criminels. Si le temps de l'artisanat de Newton et
ses collègues est bien loin, leurs questions sont toujours parmi nous, de même que le désir irrésistible de
comprendre et prédire les phénomènes, parfois couronné de succès, parfois tenu en échec.
Ainsi, à la question posée par Newton «
Le système solaire est-il stable
? », après trois cent cinquante ans
de travaux – et l'introduction de l'algèbre linéaire, des systèmes dynamiques, du calcul des probabilités,
de la théorie du chaos, des systèmes hamiltoniens perturbés, des schémas symplectiques, et les
contributions de monstres sacrés comme Laplace, Lagrange, Poincaré et Kolmogorov –, à cette question
nous pouvons finalement répondre avec assurance « peut-être » !
Un « peut-être » qui n'est pas honteux, car il est
quantifiable en probabilité, et car on sait que l’on
ne peut faire mieux : le sort de l'univers à long
terme est régi par un calcul de probabilités, à
moins d'avoir accès à une précision infinie
inatteignable. Finalement, on a retrouvé
dans le problème de Newton ces deux
monstres conceptuels que sont le hasard
et l'infini. Les thèmes de la prédiction et
de l'imprédictibilité s'entrecroisent dans
cette longue histoire comme dans un grand
roman, avec son lot de rebonds ironiques.
Ainsi, quand Gauss parvient à retrouver l'orbite
perdue de l'astéroïde Ceres, puis à maîtriser
celle de sa petite sœur Vesta, le monde semble
si prédictible ; mais quelque deux siècles
plus tard, notre confrère Jacques Laskar
démontrera l'effet déstabilisant qu'ont Ceres