2 prix Nobel pour 5 - Histoire d'une découverte dans la tourmente : la superfluidité

Conférence de Sébastien Balibar, membre de l'Académie des sciences
Sébastien Balibar est intervenu à l'Académie des sciences devant des élèves à l'occasion de la Fête de la science 2016. Les lycées invités à cette séance :
• le lycée Turgot (Paris 3e) ;
• le lycée Sophie Germain (Paris 4e);
• l'École alsacienne (Paris 6e);
• CLGT Charles Péguy (Paris 11e).
Au total, 120 lycéens et 8 professeurs.
Entre 1937 et 1941, période très tourmentée de notre histoire, une découverte majeure a eu lieu : il existe des liquides plus ordonnés que les autres, qu'on appelle "superfluides" parce que leur viscosité est nulle. La superfluidité est étonnante mais visible à l’œil nu. Lorsqu’il devient superfluide, l’hélium liquide cesse de bouillir, jaillit en fontaine lorsqu'on le chauffe, s'écoule spontanément hors des récipients où l'on tente de l'enfermer...
Mais qui a fait cette découverte, et comment ? Est-ce Kapitza à Moscou peu après son enlèvement par Staline ? Ou bien les deux canadiens Allen et Misener attirés à Cambridge par Rutherford ? Et qui a compris le premier qu’il s’agissait de la première manifestation de la physique quantique à l'échelle macroscopique? Fritz London que Paul Langevin avait accueilli au Collège de France en plein front populaire, aidé de son ami hongrois Laszlo Tisza qui s’était réfugié à côté, à l’Institut Henri Poincaré ? Ou bien Lev Landau que Kapitza avait sauvé in extremis des geôles de Staline ?
Cette histoire mouvementée illustre la manière dont les découvertes ont lieu dans un contexte de compétition qui génère parfois de vives controverses entre scientifiques, et la manière dont la démarche scientifique réconcilie finalement les points de vue. On voit aussi l’importance que prend l’invention d’un mot et comment l’attribution de grands prix peut conduire à réduire le travail d’une communauté à celui d’un individu (le lauréat).
Par ailleurs, si l'on réalise que la supraconductivité est un phénomène voisin qui sert aux installations d’imagerie médicale (les "scanners IRM"), on voit que la superfluidité est très loin de n'être qu'une curiosité de laboratoire.