Centrale nucléaire

Avis et rapport de l'Académie des sciences - Paris, octobre 2022

AVIS
Quelle place pour les réacteurs nucléaires modulaires de faible puissance – SMR – dans le futur du nucléaire mondial ?

Les réacteurs nucléaires modulaires de faible puissance, ou SMR, visent à délocaliser l’utilisation de l’énergie nucléaire en dehors des centrales nucléaires et à en faciliter et accélérer l’utilisation par l’industrie. Ce sont des sources d’énergie bas-carbone qui contribuent à répondre aux mêmes enjeux que les réacteurs de puissance, mais avec plus de souplesse et un investissement financier moindre, pouvant être d’origine publique et privée.

L’avantage premier des SMR, par rapport aux réacteurs de puissance, provient du fait que, quelle que soit leur puissance, ils peuvent être construits sur site à partir de composants standards préfabriqués en usine. Leur taille réduite rend leur construction plus rapide et leur emprise au sol plus faible. De plus, étant modulaires, ils peuvent fournir, par couplage, une gamme variée d’énergies en fonction des besoins, au plus près des usages et permettent d’envisager d’alimenter des sites isolés. Aussi, leur sûreté intrinsèque, car entièrement passive, présente un avantage certain. Ceci laisse entrevoir des gains considérables sur le plan économique et un retour sur investissement comparable à celui d’une installation non nucléaire de production d’énergie équivalente. Ainsi, les SMR pourraient ouvrir le marché aux investissements privés, à la concurrence et aux pays en développement. Enfin, leur faible puissance pourrait les rendre "socialement acceptables" car, en cas d’accident, l’impact environnemental se limiterait à l’environnement immédiat, un SMR de 200 MWe contenant évidemment moins de matières radioactives qu’un réacteur à eau pressurisée (REP) de 1 gigawatt électrique (GWe). Notons aussi que certains SMR sont conçus pour être semi-enterrés ou même souterrains.

Le concept de SMR s’inspire des réacteurs compacts et de faible puissance de la propulsion navale. L’industrie nucléaire s’est périodiquement intéressée depuis 1960 à de petits réacteurs civils et, depuis une vingtaine d’années, elle élabore des concepts de SMR dans plusieurs gammes de puissances.

Aujourd’hui, 70 projets de SMR sont proposés dans le monde, déclinant nombre de combinaisons possibles entre combustibles nucléaires, modérateurs et caloporteurs. Ces projets sont portés par l’industrie nucléaire mais aussi par des start-ups et l’ensemble de cette dynamique est très significative dans plusieurs pays, comme les Etats-Unis, le Canada, la Russie et la Chine. A l’échelle mondiale, il n’existe actuellement que trois réacteurs en activité répondant aux critères des SMR : deux sont raccordés à un réseau électrique en Russie et un vient de démarrer en Chine. Tous les autres projets sont à des stades divers d’avancement, avant la construction d’un prototype (concept, avant-projets plus ou moins détaillés, choix de site, certification par les autorités de sûreté, qualification des composants et des combustibles, transport sur site et prospection des marchés potentiels, etc.). La course est lancée.

L’étude réalisée dans le rapport présenté ci-après souligne que le passage des réacteurs de puissance aux SMR ne correspond pas à une simple réduction d’échelle : les caractéristiques recherchées sont très différentes d’un projet à l’autre et les problèmes à résoudre doivent être traités au cas par cas, avant que des filières de SMR émergent. En parallèle des spécificités à traiter pour chaque projet, des problèmes communs de méthodologie doivent être considérés et concernent, par exemple, les démonstrations de sûreté et la gestion des nouveaux déchets qu’ils engendreront, thèmes encore très insuffisamment pris en compte pour cette nouvelle classe de réacteurs. Aussi, des domaines communs de recherche générique se dégagent, concernant les matériaux métalliques pour les composants, les céramiques pour les combustibles solides et la physico-chimie en milieux de sels fondus pour les SMR à combustibles liquides. Ces derniers réacteurs sont les plus innovants de tous et en rupture d’avec le concept classique appliqué dans tous les réacteurs exploités jusqu’à aujourd’hui qui consiste à isoler le combustible nucléaire dans des assemblages facilement manipulables. En exploitation, ils nécessitent un traitement chimique en ligne des sels fondus très radioactifs contenant matière fissile et produits de fission. De nombreuses publications dans la littérature scientifique ouverte attestent de leur innovation indéniable.

En France, les industriels du nucléaire et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies (CEA) viennent de se lancer dans la course à la commercialisation avec un SMR, Nuward (pour Nuclear Forward), qui conserve le concept des réacteurs de puissance actuels (combustible à oxyde d’uranium peu enrichi, modération des neutrons et refroidissement par de l’eau). La recherche de la compacité de Nuward appelle encore des ajustements technologiques conséquents mais ce projet semble bien à même d’aboutir dans les prochaines années, en raison du grand retour d’expérience des réacteurs déjà utilisés pour la propulsion navale. Un prototype est prévu vers 2035. L’industrie nucléaire examine également la possibilité d’utiliser des SMR calogènes ou électro-calogènes, par exemple pour la cogénération, la production d’hydrogène, la désalinisation ou comme outil de décarbonation de procédés industriels aujourd’hui émetteurs de gaz à effet de serre (par la capture et la valorisation du CO2). Enfin, le CEA étudie des concepts de SMR à neutrons rapides refroidis au sodium liquide (RNR-Na) dont l’un, très innovant, intègre les avancées des recherches conduites dans le cadre du projet Astrid, arrêté en 2019. Ces différents projets apparaissent aujourd’hui comme la seule voie permettant de maintenir jusqu’à la fin du siècle les connaissances sur les RNR et donc de préparer l’avenir. En effet, la nouvelle stratégie électronucléaire de la France repousse au siècle prochain le déploiement potentiel des RNR refroidis au sodium liquide de puissance.

Côté start-ups, plusieurs projets ambitieux de SMR ont vu le jour. Par exemple, la start-up Naaera vise aujourd’hui un SMR électrogène à neutrons rapides de l’ordre de la dizaine de MWe alimenté avec de la matière fissile non conventionnelle (uranium très enrichi, plutonium civil voire transplutoniens) diluée dans des chlorures fondus. Orano et le CNRS veulent décliner ce type de SMR en convertisseur d’actinides sous forme de chlorures fondus en visant la fission du plutonium et des transplutoniens que l’on trouve dans les déchets nucléaires à vie longue. De son côté, la start-up Jimmy Energie développe un projet de SMR calogène à haute température à neutrons thermiques qui serait alimenté avec un combustible spécifique à uranium peu enrichi, modéré au graphite et refroidi avec de l’hélium sous pression. Le transport de chaleur se ferait par du CO2.

----> Voir le rapport de l'académie des sciences

----> Voir aussi l'entretien avec l'académicien avec Marc Fontecave, professeur au Collège de France et co-rédacteur de ce rapport