Rapport de l'Académie des sciences - Paris, 12 juillet 2021
Résumé exécutif
Les réseaux de communications mobiles sont devenus en quelques décennies une composante majeure du développement des technologies de l’information au niveau mondial. En particulier, les réseaux cellulaires ont complètement transformé la notion de connectivité ainsi que nos modes de communications. Le développement de ces réseaux s'appuie sur un rythme d’innovation scientifique et technologique rapide organisé en générations. À la 2G lancée en 1991 a succédé le réseau 3G dès 2001, lui-même remplacé par la 4G en 2010 pour assurer les télécommunications mobiles et l’accès aux ressources d'Internet. Leur impact économique et social est considérable. Les réseaux locaux fondés sur le WiFi ou Bluetooth ainsi que les réseaux à bas débit et basse consommation sont d'autres types de réseaux sans fil autorisant la mobilité, qui jouent un rôle économique majeur. Les réseaux ou constellations de satellites en orbite basse en cours de déploiement vont bientôt offrir un troisième type d'accès mobile permettant la couverture des régions isolées.
La 5G a plusieurs objectifs, dont les plus importants sont de résoudre les problèmes de saturation de la 4G en zone urbaine et de permettre la transition numérique de l'industrie et des services. Elle s'appuie sur plusieurs avancées majeures qui permettent d’améliorer la connectivité et la fiabilité, d'augmenter les débits des transferts d’information et de réduire le temps de latence (le délai de transmission des données) à une valeur de l’ordre de la milliseconde. Alors que les générations successives avaient été favorablement accueillies par le public, l’introduction de la 5G soulève des réactions négatives et des critiques qui conduisent à une remise en question du bien-fondé du déploiement de ces nouveaux réseaux, et dans certains cas, à une demande de désengagement de la France dans ce domaine. Nous abordons également ces critiques ici.
Ce rapport propose d'abord une synthèse des avancées scientifiques et technologiques sur lesquelles les nouvelles générations de réseaux cellulaires s’appuient dans tout un ensemble de domaines : accès radio, définition par logiciel, virtualisation, informatique en périphérie, etc. Il étudie ensuite les champs de possibilités ouverts par ces générations, leurs utilisations envisagées dans plusieurs domaines économiques, ainsi que leur potentiel en termes de création de valeur et d’augmentation de la compétitivité des entreprises. Certaines de ces utilisations sont déjà bien identifiées voire engagées, notamment dans le domaine de la productique et celui des transports. D’autres concernent le plus long terme, notamment le développement d'une nouvelle informatique multi-accès en périphérie de réseau, qui pourrait conduire, dans l’avenir, à tout un ensemble de nouveaux services. Le rapport aborde aussi l’évolution des autres réseaux mobiles non cellulaires, quoique de manière moins détaillée.
Ces sujets sont traités par le biais de neuf questions qui sont pour la plupart accompagnées par l'analyse des craintes et des inquiétudes les plus fréquemment citées en liaison avec la question. L'éclairage scientifique qui est à la base du rapport est utilisé pour tenter de distinguer les objets des craintes qui sont clairement justifiés de ceux qui le sont moins, ou encore de ceux pour lesquels les connaissances actuelles sont insuffisantes pour porter un jugement.
Une des questions souvent posées est celle de la nécessité du remplacement de la 4G par la 5G au-delà de l’amélioration des débits des communications. Il apparaît que la première motivation de la 5G est de traiter la saturation des réseaux 4G dont l’utilisation croît rapidement. Il s’agit donc pour les opérateurs de s’adapter aux nouveaux usages et à la croissance du trafic. L'alternative souvent évoquée d'une simple densification de la 4G n'est pas une bonne solution car elle aurait à terme un rendement décroissant du fait des interférences entre antennes trop proches, tout en conduisant à une consommation énergétique supérieure. L'utilisation de nouvelles bandes de fréquences et la mise en oeuvre de techniques de focalisation permettent à la 5G d'éviter cet écueil en consommant beaucoup moins d’énergie pour un service donné. Mais c'est surtout par l'amélioration conjointe de la latence et de la capacité du réseau et par la mise en oeuvre de la virtualisation que les apports de la 5G seront à terme les plus notables. Leur impact potentiel concerne en effet un vaste ensemble de secteurs de l'économie dans l'industrie, les services et les transports.
Une crainte fréquemment citée est celle de l'impact environnemental du déploiement et de l'exploitation des nouvelles générations de réseaux. Le bilan sur cette question est complexe, avec des éléments à charge, comme le coût environnemental du renouvellement des terminaux, et des éléments positifs comme l'utilisation de techniques de focalisation des ondes par la 5G qui permettent de dépenser moins d’énergie pour un débit donné. Cette crainte est souvent renforcée par celle de l’effet rebond, selon laquelle la présence de capacités plus élevées conduirait inéluctablement à une croissance des usages et par exemple à une augmentation inconsidérée de l’usage de la vidéo à la demande. Les éléments à charge sont évalués dans le rapport. Il y est indiqué que l'effet rebond pourrait être contrebalancé par une politique d’éducation du public et par des tarifications adaptées. Toutefois, le point central pour cette question de l’impact environnemental est de nouveau l'impact potentiel sur les processus industriels ou organisationnels et sur les transports. Leur optimisation en temps réel ouvre des perspectives d'économies d'énergie induites, encore peu étudiées mais qui pourraient faire de ces réseaux des outils clés pour réduire la dépense en énergie dans tous ces secteurs de l'économie.
Une autre inquiétude déjà soulevée pour les générations de réseaux précédentes concerne l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé. En ce qui concerne la 5G, le rapport n'a rien à ajouter ou retrancher au tout récent avis de l'Anses sur le même sujet : il est peu probable que le déploiement de la 5G dans la bande de fréquences autour de 3,5 GHz constitue à l’heure actuelle de nouveaux risques pour la santé. Il est en revanche impératif que l'utilisation des ondes millimétriques qui est prévue pour le futur dans le contexte des applications industrielles ainsi que pour les smartphones grand public soit précédée d'études approfondies. De manière plus générale, des recherches complémentaires sont nécessaires sur les points pour lesquels la communauté scientifique n'a pas le recul suffisant.
Les craintes liées à la résilience et à la cybersécurité d’une part et au renforcement potentiel de la surveillance de masse d’autre part sont particulièrement légitimes au vu de la situation actuelle sur ces questions. Par exemple, l'ambition de la 5G de jouer un rôle central dans le contrôle de systèmes critiques n'a de sens que si la résilience et la sécurité de ces réseaux sont garanties. Ces questions ne sont pas simples (voir l'encadré) et leur difficulté semble être encore sous-estimée par le public et par les industriels du domaine. Ce sujet stratégique mérite d’être traité en profondeur sur le plan scientifique et en termes pratiques. En ce qui concerne la surveillance des individus au moyen des réseaux de communications à des fins mercantiles, elle est hélas déjà une réalité connue de tous dans le contexte des plateformes numériques mises en oeuvre par les GAFAM. La combinaison de l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA), de l'amélioration de la géolocalisation des terminaux et des capacités d'interaction temps réel de la 5G pourrait ouvrir des perspectives nouvelles à ce type de surveillance, dont on peut aisément imaginer les dérives potentielles si elles ne sont pas encadrées par des réglementations adaptées.
Les craintes et les objections décrites plus haut et celles qui sont passées en revue dans ce rapport, devraient être mises en regard des perspectives que la 5G peut ouvrir dans l’amélioration des communications mobiles utilisées de plus en plus dans la vie quotidienne des personnes ou dans celle des acteurs économiques. Pour ces derniers, la 5G devrait contribuer au développement de leur productivité et de leur compétitivité, qui sont des enjeux majeurs dans le monde actuel. Ce serait donc à notre sens une grave erreur que de laisser la maîtrise et l'orientation future de ces réseaux au reste du monde. Qu’il s’agisse de bénéfices sociétaux, industriels, économiques, ou de risques, mieux vaut se mettre en mesure de profiter des premiers et de comprendre les seconds pour mieux les circonscrire.
----> LIRE LE RAPPORT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES