Paul Hagenmuller

3 août 1921 - 7 janvier 2017
L'Académie des sciences a le profond regret de faire part du décès de Paul Hagenmuller, survenu le 7 janvier 2017, à l’âge de 95 ans.
Il avait été élu correspondant de l’Académie des sciences - section de chimie - le 23 janvier 1978.
Notice nécrologique
Paul Hagenmuller s’est éteint le 7 janvier 2017 au cours de sa quatre-vingt seizième année.
Professeur Honoraire de l’Université de Bordeaux, il avait débuté sa carrière d’enseignant-chercheur au Vietnam (1954-56), à Hanoï puis à Saïgon, avant de revenir en France à la Faculté des sciences de
Rennes (1956-60). Ses qualités pédagogiques exceptionnelles avaient attiré
autour de lui une jeune équipe motivée.
Après la chimie minérale en solution de son maître A. Chrétien, il s’orientait alors vers une
chimie minérale nouvelle, raisonnée et déductive, la chimie du solide, aux frontières de la
physique et de la science des matériaux naissante. Il allait en être au plan international le
germe, le promoteur et le chef d’une nouvelle école de pensée qui portera parfois son nom. En
quelques mots : "toute propriété d’un solide doit dépendre de sa structure atomique et de
leurs électrons externes regroupés dans leurs liaisons chimiques".
Tout au long de sa carrière scientifique Paul Hagenmuller fut un homme engagé, un homme
de combat pour ses idées et son laboratoire, un homme visionnaire : "vous devez collaborer
avec les meilleurs laboratoires du monde, collaborer avec les physiciens en apprenant leur
langage, leurs méthodes, sans oublier que vos solides, aussi intéressants soient-ils ,doivent
avoir des applications pour devenir des matériaux…" tels étaient les propos quotidiens du
patron du laboratoire de Bordeaux (1962-85).
Paul Hagenmuller avait puisé sa force de conviction, de caractère, dans ces années terribles
(1943-45) de Buchenwald et de Dora, avec l’obsession de survivre en s’accrochant à ses
valeurs, liens humains avec des déportés russes – il en apprit leur langue-, poursuite d’un
combat de l’ombre en sabotant des missiles nazis au tunnel de Dora. Il y apprit là son goût
pour les autres peuples, le monde entier, dont il aimait à se définir comme l’un de ses
citoyens… Le monde le lui a bien rendu en l’honorant comme Membre permanent d’une
douzaine d’Académies des Sciences ( Suède, Russie, Brésil, Inde, Tiers-Monde, Europe, mais
surtout des trois principales Académies des sciences allemandes, Léopoldina, Göttingen et
Berlin). Car malgré ses années de déportation et de souffrances, Paul Hagenmuller fut dès le
début un partisan convaincu de la nécessité d’un rapprochement scientifique francoallemand
; dès 1960 il entrainait les membres de son laboratoire dans un voyage d’étude de
l’ensemble de ses homologues allemands. Vingt ans plus tard il créait, avec son collègue
allemand R. Hoppe, l’European Conference on Solid State Chemistry, cycle pérenne de
conférences concrétisant cette amitié retrouvée. En 1995 il recevait des mains de
l’Ambassadeur d’Allemagne à Paris la Croix d’Officier de l’Ordre du Mérite décernée par le
Président de la République Fédérale d’Allemagne.
La carrière scientifique de Paul Hagenmuller s’est déroulée pour l’essentiel à l’Université de
Bordeaux où il créa successivement les laboratoires de chimie minérale structurale puis celui
de chimie du solide (laboratoire propre du CNRS). Son activité scientifique est riche d’un
millier de publications, d’ouvrages scientifiques notamment sur la non-stoicchiométrie des
solides, et de centaines de conférences mondialement appréciées. Parmi ses résultats les plus
marquants on peut citer la découverte des clathrates du silicium, celle des cuprates trivalents
ancêtres des supraconducteurs à haute TC , les oxydes lamellaires de cobalt ancêtres des
batteries modernes au lithium, la chimie du fluor et des fluorures ( il était le premier lauréat
7/14 du Prix international Henri Moissan), ou l’impulsion qu’il donna avec Roger Naslain à la
naissance des composites thermo-structuraux dans une coopération industrielle exemplaire
(avec SAFRAN et CEA).
Paul Hagenmuller avait participé, animé ou présidé de nombreuses instances de gouvernance
ou de conseil universitaires et du CNRS ainsi que des Comités de liaison recherche-industrie
tels que la DGRST. Il était conseiller scientifique de prestigieuses sociétés comme IBM.
L’Académie des Sciences l’avait élu membre correspondant dès 1978. Il était Commandeur
de l’Ordre de la Légion d’Honneur et Croix de Guerre 1939-1945.
C’est un immense scientifique qui vient de nous quitter.
Michel Pouchard