Jean Normant

Jean Normant
29 janvier 1936 - 9 juin 2016

Notice nécrologique

Avec la disparition de Jean Normant, ce sont, outre sa famille, l’Académie des sciences et la chimie française qui sont en deuil.

Nous perdons en effet un de nos collègues les plus éminents et un Ami. Plus encore, c’est la disparition d’une dynastie de grands chimistes français que nous pleurons tous aujourd’hui. Après Henri, son père, lui aussi brillant académicien, c’est Jean qui nous a quittés le 9 juin. Perte immense, qui prive la France de deux immenses talents de la chimie organique, qui ont porté haut la réputation de notre pays.

Jean était brillant. Ingénieur de l’ENSCP, Docteur ès sciences à 27 ans, il devient deux ans plus tard maître de conférences à l’université de Reims. Quatre ans après, en 1973, à seulement 37 ans, il est nommé professeur de chimie organique à Paris VI. Très vite promu en classe exceptionnelle, puis académicien en 1993, Jean Normant fut une référence au sein de la chimie de Paris VI, au rayonnement de laquelle il a fortement contribué. Sa modestie légendaire, son humeur égale ne l’ont pas empêché d’exercer une grande influence. Son bureau était un havre de calme où se résolvaient les problèmes à travers des discussions d’où était exclue toute agressivité excessive, ce qui n’est pas si courant...

Ce fut d’abord un excellent enseignant, très respecté. Le tropisme qu’il exerçait sur les meilleurs étudiants en est une preuve significative. Il était proche de ses nombreux thésards, qu’il impressionnait par l’immensité de son savoir, sa pédagogie entraînante et son imagination sans limites. Il les a tous beaucoup aidés ensuite à trouver leur place dans la vie professionnelle.

Sur le plan scientifique, tout en étant très respectueux des autres sous-disciplines, il a été un des pionniers de la chimie organométallique du cuivre appliquée à la synthèse organique. Ses contributions dans ce domaine sont immenses. Il a notamment découvert l’addition stéréo- et régio- sélective des organocuivreux sur les alcynes, permettant la synthèse stéréosélective de cuivreux vinyliques. Cette réaction a révolutionné la préparation stéréosélective d’oléfines trisubstituées et a donné lieu à de multiples applications en synthèse, notamment pour la préparation de phéromones. Il a développé des réactions catalysées par des sels de cuivre permettant la synthèse diastéréosélective et énantiosélective de molécules organiques complexes. Il a également initié une nouvelle chimie utilisant des espèces aussi diverses que des réactifs organomanganeux, des composés bis-métalliques géminés du zinc et du magnésium, des carbénoides lithiés ou des molécules organométalliques fluorées.

Ses contributions ont été fondamentales sur la stabilité configurationnelle des organo-zinciques benzyliques et alléniques, et le développement de nouvelles réactions de carbocyclisations et de carbolithiations énantiosélectives.

Très vite, avec ces contributions majeures, il a fondé une véritable Ecole de chimie organométallique moderne, qu’il a exportée dans le monde grâce à ses élèves. De ce fait, sa réputation franchit vite les frontières. Il fut une référence incontournable dans les grands pays scientifiques et il reçut nombre de prix prestigieux, d’abord à l’étranger : prix de la Fondation Vant’Hoff aux Pays-Bas dès 1967 (il a 31 ans!). puis deux fois Lauréat de la Japan Society (1977 et 1991). Vint ensuite (comme d’habitude) la reconnaissance française : prix Jungfleisch (1979) et prix de l’Etat (1987) de l’Académie, prix Lebel de la Société chimique de France (1990). Enfin, en 2000, la Royal Society of Chemistry du Royaume-Uni le choisit pour la très célèbre Conférence du Centenaire, en hommage à une longue et brillante carrière qu’il clôtura la même année.

également soucieux d’être au service des autres, il a présidé la division de chimie organique de la Société chimique de France. C’est sous son mandat que s’est constitué le bureau de la division, faisant appel aux collègues d’autres régions, mettant ainsi fin à la transmission systématique en interne, entre parisiens...

Jean était trop passionné par sa science pour qu’éméritat soit pour lui synonyme d’un début de désintérêt. À l’Académie, depuis plus de vingt ans, et avec toujours son élégante modestie, la pertinence et la clairvoyance de ses interventions lors de nos réunions de la section de chimie de l’Académie, étaient toujours très appréciées.

Aussi, au nom du président de l’Académie, des Secrétaires perpétuels et de tous les chimistes français, qu’ils soient de l’Institut ou d’ailleurs, nous présentons à sa famille nos condoléances profondément attristées.

Gérard Férey, Paul Knochel et Andrée Marquet, juillet 2016

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