Jacques Ricard

6 août 1929 - 28 décembre 2018
Notice nécrologique
Jacques Ricard est décédé le 29 décembre 2018 à l’âge de 89 ans. Il avait été élu correspondant de l’Académie des sciences le 11 juin 1990, dans la section de Biologie Intégrative. Il était né à Marseille, où il a fait des études de mathématiques et de biologie. Il soutient une thèse d’état à Paris en 1957. Il part ensuite deux années comme Research associate à l’Université Cornell aux USA. Il revient à Marseille en 1959, d’abord sur le campus St Charles, puis St Jérôme, comme maitre-assistant, maitre de conférences et professeur. Il dirigera, sur le nouveau campus de Marseille-Luminy, le laboratoire de Biochimie Végétale associé au CNRS jusqu’en 1980, puis prendra la direction du laboratoire propre du CNRS, le Centre de Biochimie et Biologie Moléculaire, toujours à Marseille, jusqu’en 1991. À cette date, il devient professeur à l’université Paris VII et sera directeur de l’Institut Jacques Monod de 1992 à 1996. Il prend sa retraite en 1999, mais reste émérite, et continue à être actif jusqu’à ses derniers jours.
Au cours de sa carrière, Jacques Ricard s’est illustré dans deux domaines principaux.
Le premier concerne la croissance des végétaux, objet de sa thèse. Il aborde la question sous l’angle biométrique et statistique, puis physiologique et met en évidence le rôle de l’auxine, la première hormone connue chez les végétaux. Il contribue à l’élucidation de son métabolisme et établit, avec ses collaborateurs, le rôle des peroxydases dans les réactions d’oxygénation et d’hydrogénation de l’auxine. Il publiera en 1960 un petit livre dans la collection "Que sais-je ?" intitulé "La croissance des végétaux", que nombre d’étudiants des années suivantes ont lu. Une partie de ses travaux évoluera alors vers la biologie moléculaire avec la démonstration que l’auxine intervient en régulant la transcription des ARN ribosomiques et la synthèse des protéines. Ses élèves seront parmi les premiers à purifier les ARN polymérases végétales.
Mais c’est surtout par l’étude des enzymes et de leur cinétique qu’il va acquérir sa reconnaissance, combinant analyse mathématique, modélisation et analyse biochimique expérimentale. Il élabore la notion de mémoire enzymatique qui rend compte des phénomènes de coopérativité hors équilibre thermodynamique. Ses modèles d’étude seront des enzymes monomériques ou multimériques du métabolisme énergétique, telles que l’hexokinase, la fructose bisphosphatase et les enzymes du cycle de Calvin-Benson. L’intérêt principal de ces nouvelles propriétés cinétiques est qu’elles permettent une régulation plus fine du métabolisme cellulaire. Il va développer l’étude de la dynamique des réactions enzymatiques en milieu organisé et chargé et tentera de comprendre et de modéliser comment les interactions entre charges fixes et mobiles altèrent les comportements d’enzymes fixées. Il appliquera ces théories à l’analyse des réactions enzymatiques se produisant à la surface des membranes et des parois des cellules végétales et conduisant au grandissement de la paroi, étape clé de la croissance végétale. La notion de mémoire enzymatique le conduira à formuler des hypothèses, aujourd’hui en partie confirmées, sur la mémoire des stress. En effet les plantes se souviennent d’avoir expérimenté un stress thermique ou biotique. Ses travaux sur les édifices enzymatiques complexes sont précurseurs de ce que l’on appelle aujourd’hui la biologie des systèmes. Sur la fin de sa carrière, il s’est intéressé à l’épistémologie et à la philosophie des sciences et a écrit un remarquable ouvrage "Pourquoi le Tout est plus que la somme des Parties. Pour une approche scientifique de l’émergence".
L’ensemble des travaux de Jacques Ricard a fait l’objet d’au moins 140 publications dans des revues internationales et de 7 ouvrages de référence, dont plusieurs publiés en anglais. Ils lui ont valu de recevoir la médaille d’argent du CNRS en 1966, et, outre son élection comme membre correspondant de notre Académie, d’être membre de la New York Academy of Sciences et de l’Académie internationale de philosophie des sciences. Ajoutons qu’il fut aussi un administrateur efficace et visionnaire de la recherche à la tête des différents laboratoires et Instituts qu’il a dirigés.
Il restera pour ses collègues et amis, un scientifique brillant et passionné, curieux, modeste et discret, profondément humain, qui a ouvert la voie à une vision intégrée des différents volets de la biologie : physiologie, modélisation mathématique, biochimie, biologie moléculaire, biologie théorique et épistémologie.
Michel Delseny, délégué de la section de Biologie intégrative