Gérard Férey
14 juillet 1941 - 19 août 2017
Notice nécrologique
Gérard Férey (1941-2017) a été élu correspondant de l’Académie des sciences en 1996, puis membre en 2003. Son œuvre scientifique est exceptionnelle. Elle lui a valu une renommée incontestée au niveau national et international.
Après une licence et un premier doctorat à l’Université de Caen, il débute en 1967 une carrière académique à l’université du Mans où il met en pratique sa rigueur expérimentale et sa curiosité dans le tout nouveau laboratoire des fluorures inorganiques des métaux de transition.
Devenu Docteur es sciences de l’université de Paris VI, il développe dans les années 80 un nouveau domaine de la chimie du solide en se rapprochant des physiciens grenoblois, pour s’intéresser tout particulièrement à la cristallographie, à la diffraction neutronique et au magnétisme. Il synthétise de nombreux fluorés. Parmi ceux-ci les composés à base de fer caractérisés par G. Férey se sont avérés être d’excellents modèles pour étudier des couplages magnétiques originaux, notamment ceux associés aux problèmes de frustration de spin. Au cours des années 90, G. Férey ouvre un nouveau champ de recherche en développant des solides inorganiques cristallisés à réseaux ouverts, des phosphates de métaux tels que Al, Ga, Fe, In, Sn. Il aborde la synthèse hydrothermale après celle par voie sèche et s’attaque à la complexité des mécanismes de construction des solides par les méthodes ascendantes dites bottom-up. Ces nouveaux types de solides poreux cristallisés, dont il résout entièrement la structure, sont connus internationalement sous le nom d'ULM (ULM signifiant Université Le Mans).
En 1996, il crée et dirige l’Institut Lavoisier de chimie et physique des solides à l’Université de Versailles-Saint Quentin (UVSQ). Il développe dans ce nouvel environnement une nouvelle et vaste famille de matériaux poreux cristallisés très originaux. Il s’agit de matériaux hybrides organiques-inorganiques, les fameux MIL (Matériaux de l'Institut Lavoisier). C’est sans aucun doute au travers ses recherches sur les MIL que G. Férey a le mieux démontré son talent d’architecte de la matière. Il a su créer sur des bases rationnelles cette nouvelle classe de matériaux hybrides poreux multifonctionnels et de morphologies variées en combinant une chimie maîtrisée et la simulation numérique et en jouant avec les atomes, comme l’on joue avec des pièces de lego. Avec son équipe à l’UVSQ il a su prédire et expliquer le comportement de ces matériaux qui offrent une grande variété de propriétés et d'applications dans les domaines de l'énergie, du développement durable et de la santé. Grâce à une démarche globale, unique au plan international, il a découvert plus de 150 topologies poreuses nouvelles se caractérisant par l’existence de larges pores.
En 2005, Gérard et ses collaborateurs ont décrit un solide poreux cristallisé aux performances inégalées. Baptisé MIL-101 (pour Matériaux de l’Institut Lavoisier n°101) ayant un volume de plus de 700.000 angströms cube équivalent à celui des protéines.
En 2007, Gérard a également découvert une autre famille inédite de ce type de solides : des matériaux hybrides cristallins capables d’augmenter de plus de 300% leur volume sous l’effet d’un solvant et ceci de manière complètement réversible.
Les recherches développées par G. Férey et ses collaborateurs ont permis de diversifier les tailles des pores accessibles, la nature des matériaux obtenus et donc leur affinité pour différents solutés liquides ou gazeux, et de diversifier également les procédés de leur mise en forme (films, monolithes, poudres nanométriques) afin d’ajuster "sur mesure" leurs performances. G. Férey a ouvert un très champ très ample de recherche qui se poursuit.
Ces matériaux hybrides microporeux cristallisés présentent des propriétés exceptionnelles et prometteuses en termes de stockage de l’hydrogène, de séquestration du dioxyde de carbone à température ambiante, ou bien en tant que matériaux d’électrode ou de vecteurs pour la délivrance contrôlée de médicaments et de principes actifs. En effet, certains MIL sont capables de piéger de très grande quantité de gaz à température ambiante (MIL-101) ou de stocker de l'hydrogène ou du méthane. Des voitures prototypes équipées de réservoirs contenant du méthane adsorbé sur des MIL existent déjà en Allemagne. La société BASF produits industriellement certains composés à raison d’une tonne par jour. Les MIL peuvent également encapsuler dans leur porosité des médicaments par exemple anti-cancéreux, augmentant d'un facteur 10 les performances des molécules anti tumorales. En choisissant leurs propriétés magnétiques on peut imager par RMN la tumeur. Les combinaisons possibles de diagnostic et de thérapie ouvrent le domaine passionnant de la nanomédecine théranostique. L’utilisation des MIL conduit à des domaines d’applications très importants pour notre société.
Les avancées de G. Férey ont été reconnues au niveau national et international par de nombreuses distinctions de sociétés savantes françaises et étrangères (USA, Japon, Inde...). Il a été récipiendaire de 18 grands prix et distinctions scientifiques parmi lesquels :
Le prix Gay-Lussac-Alexander Von Humboldt en 2004
Le prix ENI pour la Protection de l’Environnement en 2009
Le Grand Prix International de la Fondation de la Maison de la Chimie en 2010
La médaille d’or du CNRS en 2010, plus haute distinction scientifique française
Le prix Davison du MIT Massachussets Institute of Technology (USA) en 2013.
G. Férey était un homme passionné, cultivé et engagé. Il avait une passion pour le dessin et les représentations tridimensionnelles, une passion pour la science en général, pour la chimie et pour la cristallographie en particulier. C’était aussi un homme doublement engagé au niveau institutionnel et dans la société. G. Férey a été directeur scientifique adjoint du département de chimie du CNRS, vice-président de la Société chimique de France, président du Comité national de la chimie et du Comité ambition chimie. Il s'est fortement impliqué dans la transmission du savoir surtout auprès des jeunes et des très jeunes auxquels il insufflait sa passion pour la chimie et ses applications. Son dernier ouvrage pédagogique publié cette année et intitulé : Crystal Chemistry. From basics to tools for materials creation en est une très belle illustration.
G. Férey a toujours été un homme de convictions. Il ne faisait pas partie de la majorité silencieuse. Il n’hésitait pas à exprimer ses idées, même si par moment ses interlocuteurs ne les suivaient pas, et même si certains s’en trouvaient parfois un peu contrariés. Mais cette force de caractère lui a permis de se mettre toujours au service d’une cause qui lui tenait profondément à cœur : la qualité de la science, la défense de la chimie en général et de la chimie française en particulier. Pour cela, il n’hésitait pas s’impliquer fortement, quelles que soient les difficultés ou les barrières à franchir. Il pensait que dire les choses était primordial.
G. Férey a eu parcours peu commun. Parti modestement d’un poste d’instituteur, il à franchi un à un les échelons qui l’ont porté au plus haut niveau de la science française. Il a eu un parcours peu commun, un palmarès scientifique époustouflant et faisait partie du petit nombre des scientifiques qui méritaient la plus haute distinction internationale.
Clément Sanchez, membre de la section de Chimie
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