Emilio Picasso
9 juillet 1927 - 12 octobre 2014
Notice nécrologique
Emilio Picasso, élu associé étranger de l'Académie des sciences le 27 mars 1995 dans la section de Physique, nous a quittés le 12 octobre 2014 à l'âge de 87 ans.
Né en 1927 à Gênes, il y obtient son doctorat en 1956 portant sur l'étude de détecteurs, précurseurs des chambres à bulles. Il participe ensuite à des expériences sur les rayons cosmiques avec des émulsions photographiques emportées par des ballons stratosphériques, en collaboration avec l'équipe de Cecil Powell à Bristol, qui avait reçu le Prix Nobel en 1950 pour la découverte du méson . Lors d'un séjour postdoctoral en 1963 à Bristol il rencontre (par hasard dans un bar !) un physicien britannique, Francis Farley, qui venait de réaliser une expérience sur la mesure du rapport gyromagnétique du muon auprès du synchrocyclotron du CERN. Emilio Picasso s'enflamma aussitôt pour ce sujet au point de rejoindre Farley pour continuer le projet, obtenant en 1966 un poste de physicien au CERN.
Le rapport gyromagnétique du muon est prédit par l'équation de Dirac, g=2. Mais on sait depuis que les fluctuations prédites par la théorie quantique des champs modifient cette valeur dont la mesure précise permet de tester l'électrodynamique quantique et toute autre interaction participant à ces fluctuations. La masse élevée du muon permet d'accéder à des contributions potentielles caractérisées par une grande échelle d'énergie. En y apportant des contributions essentielles, Picasso a joué un rôle clé dans ce programme expérimental qui se déroula sur une dizaine d'années. Il imagina avec John Bailey un anneau magnétique où les muons ont une énergie "magique" telle que les champs électriques nécessaires à la focalisation n'affectent pas la précession du spin des muons. En 1976 la valeur de g-2 est obtenue avec une précision de 7 ppm, mettant en évidence la contribution des interactions fortes dans les propriétés d'un lepton, en accord avec la prédiction de la théorie quantique des champs.
En 1980 le CERN confia à Emilio Picasso la direction du projet LEP, c'est-à-dire l'étude et la construction du plus grand accélérateur du monde, un collisionneur électron-positon à une énergie de 200 GeV dans un tunnel de 27 km de circonférence à 100 m sous terre. La mise en œuvre de ce gigantesque projet nécessita la mobilisation des meilleurs experts du CERN dans des domaines très variés : aimants, cavités haute fréquence supraconductrices, ultravide, contrôle-commande, génie civil. La qualité du jugement scientifique de Picasso, son large spectre de connaissances, la chaleur exceptionnelle de ses contacts humains lui ont permis de mener le projet à son terme avec succès. Avec les premières collisions, en 1989, commençait un programme unique d'exploration des bosons Z et W menant à des tests d'une précision inégalée de la théorie électrofaible. Bien que Picasso ait plaidé en vain pour l'achat de cavités accélératrices supplémentaires, il ne manqua que quelques GeV à l'énergie maximale du LEP pour découvrir le boson de Higgs. La découverte n'échappa cependant pas au CERN, mais en 2012, avec le collisionneur proton-proton LHC installé dans le tunnel même du LEP.
Déjà professeur à la Scuola Normale Superiore de Pise, Emilio Picasso en prit la direction en 1991. Ayant un intérêt particulier pour la recherche des ondes gravitationnelles, il joua un rôle important pour obtenir l'approbation du projet franco-italien Virgo d'interféromètre géant, maintenant en exploitation à Cascina près de Pise.
Emilio Picasso était reconnu unanimement dans la communauté scientifique. Il laisse une marque profonde en physique des particules par ses expériences originales et la construction du LEP. Son enthousiasme communicatif pour la physique fondamentale reste légendaire et bien présent dans nos mémoires.
Michel Davier